vendredi, décembre 29, 2006

Et si on remettait la machine en route...

Après un début que j'ai trop vite cru prometteur, j'ai rapidement laché le fil de mes idées pour me morfondre dans le monde réel à ressasser les sombres plutôt que de noircir l'écran des belles. 9 mois de disette !!! Est-ce suffisant pour renaître à l'écriture ou plutôt à la volonté d'écrire ?
Car l'écriture était toujours cachée dans les livres que j'ai dévorés. Depuis longtemps je n'avais plus connu cette boulimie, cette attirance presque physique pour le livre en cours, que l'on ferme à regret et que l'on rouvre en laissant aller un bref soupir de soulagement. Ouf ! vous revoilà vous, les mots et les phrases qui formez un ailleurs réel !
C'est en effet l'envie d'écrire qui s'était envolée, affaiblie par un quotidien trop prenant, jusqu'à s'éteindre. Je ne m'en inquiétais pas, je n'y pensais pas sauf à recevoir en pleine tête de mois en mois les reflexions justifiées de personnes de confiance qui répondaient à mes questions existentielles par le même leitmotiv : "Ecris !".
Et nous revoilà, mes doigts engourdis sur un clavier dont la petite musique donne du rythme à mes phrases, mon esprit engourdi par trop de moi et trop de mois d'inféconde auto-analyse à quatre sous, et mes idées engourdies par tant d'inactivité ... il faut désormais remettre la machine en route et pour ce faire, je vous propose un vieux petit début de texte à commenter sans modération...
1

Et si on mettait la machine en route. L’écriture automatique c’est peut-être tout ce qui me reste. Vingt-cinq ans que je cherche l’inspiration, que je l’appelle la nuit avant de m’endormir, que je l’attends la journée devant la télé, à l’arrêt de bus (c’est pas vrai, je ne me déplace qu’en voiture), que je la triture, avec nostalgie, comme un vieux nin-nin.
Là, j’en ai marre d’attendre. Autour cela ne vaut plus le coup. Les succédanés de bonheur matériel me tapent sur le système. Il faut que cela sorte. Et puis quoi encore, je vais passer ma seule et unique vie à acheter des choses, à manger et à boire… J’envie parfois la nonchalance du chat, sa manie de ne rien faire, d’observer tranquillement son entourage avec l’air de ne pas y toucher. Facile, le chat mais je voudrais vous y voir avec neuf vies devant vous : la première on regarde, on ne comprend rien, au mieux on fait quelques mois avant de terminer sous le moelleux caoutchouté d’un pneu radial. La deuxième, on doit commencer à choisir – repas en boîte ou souris de grenier – en fonction des souvenirs qu’on a gardés de la vie d’avant. Et ainsi de suite de vie en vie, en améliorant chaque fois ce que l’on souhaite. La sixième, à force de réfléchir, le chat finit en tombant du neuvième étage en tentant de vérifier l’adage que l’on retombe toujours sur ses pattes. A la septième ; il doit commencer à freiner au niveau des expériences. Les deux dernières, sûr qu’il finit en roue libre, à ronronner sur un coussin, sans prendre de risque !

Cloué au lit par une lombalgie depuis deux jours, j’ai décidé de prendre les choses en main. Je me suis traîné jusqu’au salon, j’ai ramassé une bouteille de Jack Daniel ®, j’ai rapatrié mon portable jusqu’à ma chambre, branché un casque. Pour me lancer, je me suis servi un petit verre, juste pour quitter la rive. Devant moi, l’océan est immense, la traversée peu sûre, et en plus je ne sais pas où je veux aller. Alors un peu de musique m’aidera à ne pas me retourner vers la terre ferme. Pour ce grand voyage, j’ai convié les fidèles : Bruce Springsteen & the E Street Band, Jean Jacques Goldman et Alain Souchon. D’autres viendront nous rejoindre, assurément.
Pendant longtemps, j’ai fait le même rêve : ma chambre se remplissait des exemplaires du roman qu’il fallait que je dédicace sans fin, la couverture du livre ne portait ni titre, ni auteur. Je me réveillais chaque fois juste avant que les piles ne s’effondrent sur moi.
J’avais assez rêvé. Il était temps de se mettre au travail. Les quelques jours de répit que m’offrait mon dos bloqué étaient l’occasion de me coltiner avec cet insaisissable adversaire autour duquel j’avais tourné toutes ces années sans pouvoir l’attraper vraiment. Bien sûr que si je mettais bout à bout toutes les expériences littéraires que j’avais pratiquées, j’aurais pu obtenir quelque chose de conséquent et me dire que finalement je n’étais pas resté inactif toutes ces années. Seulement le temps de l’autosatisfaction était désormais banni. Je remontais mes manches, prêt à en découdre. J’allais mettre à profit cette immobilité forcée pour me lancer à fond dans l’aventure. Après on verrait, d’ailleurs c’était tout vu ; interdit de s’endormir avant d’avoir noirci au moins une page. Cela pouvait paraître raisonnable une page. Seulement c’était un peu comme un marathon, il faudrait une volonté sans faille, se tenir à l’objectif et écarter toutes les tentations qui viendraient m’éloigner du chemin.

Ce n’est pas le tout mais maintenant que j’ai quitté la rive, il faut que je choisisse un cap avant de hisser les voiles. Il faut être honnête, tout le monde dit que le premier roman est autobiographique alors pourquoi déroger à cette règle ? Je vais convoquer mes souvenirs, les classer par thèmes, en faire des piles de parpaings qu’il me faudra assembler en une maison dont j’ignore encore le plan…

D’où me vient cette folle envie de me jeter dans la mêlée, d’être l’un des 650 qui surgissent chaque rentrée sur les rayonnages des libraires ? A neuf ans, je lisais un livre par jour, à 10 ans je recopiais des romans sur une vielle machine à écrire. J’aimais tenir un stylo plume … Des raisons, j’en ai dix, j’en ai cent, j’en ai mille, je n’en ai aucune. C’est comme çà, l’envie d’écrire fait partie de ma vie.

Les galets de la plage du Tréport ont été mon premier bureau : en week-end chez mes grands-parents, j’étais attiré par l’atmosphère au romantisme suranné de cette station balnéaire un peu oubliée qui me poussait à commettre des poèmes étriqués que j’adressais à mes premières conquêtes. J’avais 15 ans et tout serait simple, d’abord les poèmes, les romans viendraient naturellement. Il suffisait d’attendre que la vie me fournisse la matière. J’ai rapidement pensé que cette substance se trouvait en toute chose, qu’il suffisait d’observer, puis de se baisser pour ramasser. Malheureusement la souplesse n’était pas mon fort. J’essayais tout de même, première ébauche au lycée, en seconde – j’en ferai deux -. Quelques admiratrices se joignirent à cette tentative, leur écriture ronde barre encore le cahier Clairefontaine à couverture rouge que j’ai précieusement conservé. Le professeur de français - qui comme il se doit, essayait d’écrire - me laissait discrètement dicter à mes scribes un peu charmeuses les prémices d’un roman naïf qui se transformerait quelques mois plus tard en scénario d’un exercice vidéo que nous tournâmes en quelques jours. La cassette existe toujours…Hormis ces objets fétiches, cahier, cassette, il reste de cette période deux lignes sur mon bulletin scolaire du lycée « Elève curieux, écrivain à ses heures. Peut mieux faire ». Parlait-il, ce professeur un peu étrange, de mon style ou de mon travail scolaire ?

Je restais plusieurs années complètement improductif, conscient de la difficulté de l’exercice littéraire, jusqu’à ce que l’envie me reprenne. Une nouvelle idée jaillit un matin d’une fontaine secrète dont je cherche encore aujourd’hui la source. Et l’écriture surgit presque machinalement, j’étais entraîné par elle plus que je ne la provoquais. Seulement, j’avais sous estimé la rigueur du climat. L’aridité vint rapidement à bout de ce deuxième projet.

Une fois encore, la vraie vie me rattrapait. Je travaillais, parfois j’attendais le week-end dès le mardi. Je tenais en gardant secrètement au fond du cœur cette petite voix fragile qui me chuchotait qu’un jour viendrait où je parviendrais à mes fins. De l’extérieur, rien ne résistait à une analyse même sommaire de ce que la vie avait fait de moi. Mon banquier possédait une grande maison et deux voitures sur un terrain de taille très respectable aux yeux des visiteurs. Chaque mois, petit à petit, j’essayais de lui racheter le tout en me gardant bien de penser à l’entreprise dans laquelle je m’étais lancé. Tout s’était organisé insidieusement, promotion après promotion, sans que je m’aperçoive du piège dans lequel je m’enfermais. Difficile de ne pas penser à la fable du lion et du rat… Et je croyais pouvoir rugir !

Quelques lueurs de lucidité venaient parfois faire vaciller cet équilibre sommaire et je reprenais la plume mu par une énergie dont je n’arrivais pas à déterminer l’origine. Autour de moi, quelques fidèles, de plus en plus rares, continuaient d’encourager ce qu’il appelait ma vocation. De mon côté, le doute s’insinuait et mes expériences étaient de plus en plus brèves, parfois j’écrivais quelques heures et remisais dès le lendemain, sans même les relire, quelques pages dans la mémoire morte de mon ordinateur. J’avais poussé l’insolence jusqu’à oublier le mot de passe de certains fichiers qui demeuraient ainsi en évidence dans les listings sans pouvoir être déchiffrés.
Tout ceci aurait pu durer des années encore, sans que je prenne vraiment conscience de l’urgence du temps qui passe. C’était tellement confortable de pouvoir se dire « demain, je m’y mets ». Seulement 1+1 font rapidement 31 puis 365 et on s’arrête un matin, on se retourne et on s’aperçoit que d’un mode calcul en base « jours », on est insidieusement passé en base « ans » et qu’il ne reste plus qu’un seul référentiel : la base « vie », celle qui ne se compte qu’au dernier soir, lorsque l’on fait le bilan et qu’on essaye de mettre un titre. « Si j’avais su » ne me semblait pas très accrocheur, un peu trop commun à mon goût.

J’aurai dû maudire cette maudite caisse qui m’avait laissé au sol, plié comme un fétu de paille. Devais-je y voir un quelconque signe du destin, mais cette foutu boîte contenait vingt-cinq kilos de souvenirs de mes plus jeunes années. Pêle-mêle, j’y avais retrouvé mes cahiers d’écoliers – déjà « peut mieux faire, bavarde trop » -, les journaux aux titres marquants - « TRFUFFAUT EST MORT » Libération du 30 octobre 1984 -, mais également copie des poèmes du Tréport et de nombreuses lettres reçues. Une partie de ma vie avait défilé devant mes yeux avant que je ne me retrouve les fesses sur le froid carrelage du sous-sol, dans l’impossibilité de faire un mouvement sans sentir mon dos traversé par la fulgurance d’une douleur venant de nulle part. Mon instinct de survie , quelque peu inutile au regard de la vie que j’avais mené jusque là, m’enjoigna de ne plus bouger. Je restais donc ainsi, sans chercher à me relever. Le ridicule de la situation me fit partir dans un fou rire nerveux irrépressible. Ainsi, la vieillesse était une traîtresse qui essayait ses coups en douce sur des corps à l’apparence encore jeunes, frappant dans le dos, sans prévenir, pour commencer à glisser son venin dans nos pensées « quoique tu fasses, je t’aurai ». Je décidai de ne pas me laisser faire, de reprendre le sport avec assiduité, offrant à cette félonne un corps plus jeune encore, pensant la tromper avec ce subterfuge un peu grossier.
Je savais au fond de moi qu’elle aurait partie gagnée, de toute manière. On écrivait partout en gros des avertissements relatifs à l’encombrant principe de précaution « Fumer tue », « Boire tue », « Conduire tue », tout ceci avec l’exact objectif contradictoire de ne pas écrire « Vivre tue ».
Avant de choisir le sport qui allait me permettre d’atteindre cet objectif ambitieux de paraître plus jeune, il fallait dans un premier temps que je me relève. Mais la douleur revenait à la moindre esquisse de mouvement. Je renonçai donc et me préparai à passer quelques heures dans le sous-sol, dans l’attente que la douleur passa ou que mon épouse revint de son travail. Je laissai vagabonder mon esprit et tombai dans un demi sommeil.